Mort à Venise au Theater am Gärtnerplatz de Munich

Le Theater am Gärtnerplatz de Munich présente depuis juin 2009 une production en langue originale de Mort à Venise de Benjamin Britten. La prochaine représentation aura lieu le vendredi 23 juillet à 19H30.

Je m’y suis rendu hier soir et en suis sorti enchanté. C’est particulièrement émouvant d’avoir la chance de voir cet opéra à Munich puisque l’auteur de la nouvelle dont il est issu, Thomas Mann, a longtemps séjourné dans la capitale bavaroise et qu’il place le début de l’action de Tod in Venedig à Munich.

L’oeuvre de Britten agit comme un jeu de miroirs complexe: Thomas Mann a projeté ses propres inclinations homosexuelles dans la création du protagoniste de sa nouvelle, le poète-professeur von Aschenbach. Britten lui-même homosexuel crée son opéra en suivant fidèlement le texte de la nouvelle et dédie l’oeuvre à son partenaire de vie pour qui il en écrit le rôle principal. Au centre du drame, la passion irrépressible du poète, veuf et père, pour un adolescent " beau comme un tendre jeune dieu qui émerge des fonds de la mer et du ciel, courant contre les éléments, cette vue conjurait des mythologies…"



Thomas Mann et Mort à Venise



Thomas Mann publie der Tod in Venedig (La Mort à Venise) en 1912. La ville de Venise et l’Hôtel des Bains sur l’île du Lido, où séjourne Mann en mai-juin 1911, sont au cœur de cette nouvelle inspirée par la mort du compositeur Gustav Mahler que Mann apprend précisément le 18 mai 1911. Mais c’est aussi à Venise qu’est mort, en 1883, Richard Wagner à qui Mann dédie un essai durant la même période.





Enfin, c’est sur la plage du Lido que Mann voit se réveiller son homosexualité latente devant la beauté d’un jeune noble polonais de quatorze ans. Cette œuvre que Mann désigne comme « une tragédie » est une réflexion sur la mort, le mal et son rapport à l’art, le sens de la culture. Œuvre profondément personnelle en rupture avec le naturalisme des débuts, La Mort à Venise exprime les angoisses d’un homme aux prises avec ses propres démons, marqué par la maladie et la mort de ses proches (sa femme souffre d’une maladie pulmonaire et sa sœur Carla
s’est suicidée l’année précédente) et enfin par la menace de guerre qu’il perçoit dans la crise franco-allemande de 1911.

Le personnage principal de la nouvelle est Gustav von Aschenbach, un écrivain munichois reconnu (et anobli) dans la cinquantaine. Troublé par une mystérieuse rencontre lors d’une promenade dans un cimetière munichois, il part en voyage sur la côte adriatique et finit par aboutir à Venise, une ville dans laquelle il ne s’est jamais senti à l’aise. Dans son hôtel du Lido, Aschenbach découvre Tadzio, un jeune adolescent polonais qui le fascine par sa beauté. Il n’ose l’aborder et le suit dans la ville de Venise. Aschenbach, en proie à une sombre mélancolie et une sorte de fièvre dionysiaque, succombe à l’épidémie de choléra asiatique qui fait alors rage dans la ville. Il meurt sur la plage en contemplant une dernière fois l’objet de sa fascination.

Voici comment Thomas Mann commentait son oeuvre en réponse aux questions que lui posait Luchino Visconti en 1951:

En 1951, Luchino Visconti rencontra Thomas Mann et l’interrogea à propos de sa nouvelle. Voici la réponse de l’écrivain :

« Rien n’est inventé, le voyageur dans le cimetière de Munich, le sombre bateau pour venir de l’Île de Pola, le vieux dandy, le gondolier suspect, Tadzio et sa famille, le départ manqué à cause des bagages égarés, le choléra, l’employé du bureau de voyages qui avoua la vérité, le saltimbanque méchant, que sais-je… Tout était vrai…



L’histoire est essentiellement une histoire de mort, mort considérée comme une force de séduction et d’immortalité, une histoire sur le désir de la mort. Cependant le problème qui m’intéressait surtout était celui de l’ambiguïté de l’artiste, la tragédie de la maîtrise de son Art. La passion comme désordre et dégradation était le vrai sujet de ma fiction.



Ce que je voulais raconter à l’origine n’avait rien d’homosexuel ; c’était l’histoire du dernier amour de Goethe à soixante dix ans, pour Ulrike von Levetzow, une jeune fille de Marienbad : Une histoire méchante, belle, grotesque, dérangeante qui est devenue La Mort à Venise. À cela s’est ajoutée l’expérience de ce voyage lyrique et personnel qui m’a décidé à pousser les choses à l’extrême en introduisant le thème de l’amour interdit. Le fait érotique est ici une aventure anti-bourgeoise, à la fois sensuelle et spirituelle."

Death in Venice de Britten



En janvier 1971, Britten souhaita se mettre à l’écriture d’un nouvel opéra, dans lequel il pourrait donner l’occasion à son partenaire de vie, le ténor Peter Pears de remonter sur scène

Britten avait fréquenté le fils de de Thomas Mann Golo. Visconti est alors en train d’adapter Mort à Venise (Death in Venice) pour le cinéma. Golo encourage Britten à porter à l’opéra la nouvelle de son père. En 1972, Myfanny Piper, librettiste attitrée de Britten, adapte la nouvelle de Mann, comme elle avait déjà adapté des romans d’henry James pour le compositeur…



Toute l’action de l’opéra semble naître du cerveau du poète Gustav von Aschenbach: on suit la progression de ses pensées et de ses rêves, et même si les frontières du rêve et de la réalité sont marquées, les deux uivers s’entremêlent. Le rôle du poète est une partie extrêmement difficile à tenir car il exige une présence quasi constante en scène pendant les deuxheures trente que dure l’opéra. Il s’agit d’un des rôles les plus important dans la carrière de Peter Pears, depuis le temps où il créait en 1965, Peter Grimes.

La danse joue un rôle prépondérant dans l’opéra de Britten: les rôles Tadzio, objet de la contemplation fascinée du vieil écrivain, et de safamille sont muets: ils sont incarnés par des danseurs et des mimes. Comme la danse répond au chant, le rêve répond à la réalité, qu’il enrichit et révèle. Superposé à l’histoire somme toute banale d’un homme vieilli qui passe ses vacances dans un hôtel de luxe et s’entiche d’un joli jeune homme qu’il n’osera pas aborder, l’histoire de mort à Venise un parcours d’initiation mythique, nietzschéen, où l’apollinien le dispute au dionysiaque: Apollon apparaît en rêve à Von Aschenbach

Aux personnages réels: un voyageur, un vieux dandy, le « leader of the Players », chef d’une troupe de théâtre itinérante, le barbier, le directeur de l’hôtel, correspond d’autres « visions » exclusives. Ainsi Aschenbach voit-il en rêve Apollon/Eros dont il retranscrira dans ses carnets les paroles prophétiques.



La production du Theater am Gärtnerplatz



Un nouveau chef d’orchestre, Oleg Ptashnikov dirigeait avec brio, l’orchestre du théâtre. La mise en scène d’Immo Karaman est particulièrement remarquable. Les costumes et les grimages sont à la hauteur de la mise en scène.





Gustav von Aschenbach est interpétré par Hans-Jürgen Schöpflin, dont les talents d’acteur soutiennent l’interprétation vocale. Gary Martin, qui interprète les rôles du Voyageur, du Vieux Fou, du vieux Gondolier, du directeur d’hôtel, du coiffeur et prête sa voix à Dionysos reçoit un immense succès d’audience parfaitement mérité. Les danseurs Michael Langner et Onur Birsoy interprètent Tadzio et Jaschiu dans la chorégraphie de Fabian Posca: un ravissement!



Une soirée d’exception au Theater am Gärtnerplatz!
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